LE TRAJET DOMICILE-TRAVAIL N’EST PAS ASSIMILE A DU TEMPS DE TRAVAIL EFFECTIF

L’obligation d’enregistrer quotidiennement ses heures de travail* suscite de nombreuses interrogations. C’est la jurisprudence, produite au compte-gouttes, qui sert de référence pour l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique interne à cet égard, même si cette jurisprudence résout des cas antérieurs ou non similaires. Cette obligation se doit de remplir la double fonction de ne pas affecter la productivité de l’entreprise et de respecter également la législation.

Dans cette optique, le « Tribunal Supremo » a rendu un arrêt le 19 novembre 2019 concernant le déplacement des pompiers d’AENA (pompiers d’Aéroports en Espagne). Il a établi que leur déplacement depuis l’accès aux installations aéroportuaires (en passant par le contrôle d’accès) jusqu’à leur poste de travail, ne doit pas être assimilé à du temps de travail effectif rémunéré.

Cet arrêt, qui résout une affaire antérieure au décret de mars 2019, annule les décisions préalables du « Juzgado Social » de Palma et du « Tribunal Superior » de Justice des Iles Baléares, qui avaient donné raison aux salariés et considéré ces déplacements comme compris dans le temps de travail effectif et devant donc être rémunérés. Malgré le fait que le salarié ne soit pas réellement arrivé sur son lieu de travail, il a été considéré qu’il était déjà à disposition de son employeur lors de son déplacement.

Le « Tribunal Supremo », à l’inverse, a estimé que pendant ce déplacement à l’intérieur des installations aéroportuaires, l’employé ne pouvait pas effectuer de prestations de travail, ni recevoir de directives et que, par conséquent, ce temps de trajet où le salarié n’est pas à disposition de l’employeur ne peut être rémunéré.

La disparité de critères entre les différentes juridictions nationales témoigne de l’absence d’une norme claire régulant les questions relatives au temps de travail dans l’entreprise (temps d’attente, d’ouverture et/ou de fermeture, tâches préparatoires, relève, etc.). Cela oblige à étudier chaque situation séparément. Il revient aux entreprises de définir leur propre politique d’enregistrement des heures de travail à partir de l’analyse de leur contexte interne.

Il est clair que l’arrêt du « Tribunal Supremo » résout un cas très spécifique, celui des pompiers d’aéroport, et ne permet pas une application généralisée. Toutefois, le résumé de jurisprudence communautaire que l’arrêt détaille et les conclusions auxquelles il parvient pour déterminer si un trajet est considéré ou non comme temps de travail effectif, sont tout de même amenés à servir de cadre de référence :

  • Ce n’est pas le volume de l’activité ou le caractère directement productif de cette dernière qui détermine la nature du temps de travail en question.
  • Lorsque la personne n’est pas libre de choisir son lieu ou son activité mais qu’elle est à disposition de l’entreprise, il existe une forte probabilité de faire face à un temps de travail effectif.
  • La présence dans les locaux de l’entreprise constitue un facteur favorisant le caractère professionnel de la période pendant laquelle s’effectue ladite présence.
  • Un déplacement sous l’autorité de son employeur peut déjà être considéré comme un temps de travail effectif.
  • Il est possible d’établir une rémunération différente de la rémunération ordinaire pour ce temps de travail, qui malgré cette considération, n’a pas de caractère directement productif.
  • Le contrôle d’accès peut être différent de l’enregistrement des heures de travail, de sorte que ce contrôle ne sert pas à prouver quand commence la prestation effective des services à rémunérer.  (STJUE 14 mai 2019, C-55/18).
  • Concernant le temps de travail et de repos, les litiges peuvent concerner différents aspects : rémunération, durée maximale de travail, prestations ponctuelles, liberté ou flexibilité des horaires, etc.
  • À ces conclusions, nous pouvons ajouter celles provenant de jugements antérieurs :

  • L’utilisation des systèmes de géolocalisation comme seul moyen d’effectuer l’enregistrement journalier des heures de travail effectif n’est pas appropriée (STS 13/03/2018 ; 16/07/2019) ; ou
  • Le temps de travail effectif ne comprend pas le temps passé par les salariés depuis son domicile jusqu’au premier client et du dernier client jusqu’à son domicile (STS 04/12/2018).

Par conséquent, même si après ce dernier arrêt, certains points de l’enregistrement du temps de travail effectif restent flous, il n’en est pas moins vrai que, peu à peu, se dessine une carte des considérations juridiques à prendre en compte et à interpréter pour pouvoir ajuster les politiques internes des entreprises.

Pour plus d’informations sur le droit du travail de vos collaborateurs en Espagne, contactez le French Desk de BDO.  

*À compter du 12 mai 2019, le décret-loi royal 8/2019 du 8 mars sur les mesures urgentes de protection sociale et de lutte contre la précarité du travail modifie l'article 34 de l’« Estatuto de los Trabajadores », en établissant l'obligation pour l'entreprise de garantir un enregistrement quotidien de la journée de travail, qui doit comprendre les heures spécifiques de début et de fin de chaque salarié, sans préjudice des horaires flexibles existants.

Traduction de l’article de NIEVES ARIAS, disponible sur le blog de BDO Spain